mardi 27 janvier 2009

Décès de Harouna Barry : Le silence du saxophone


Face à la fatalité, il nous arrive d’imiter le philosophe en demandant : « mort où es ta victoire ?» La mort, elle ne répond jamais parce que toute tendue vers sa seule mission de frapper partout où l’on est né, sans se soucier d’évaluer ses dégâts. Dans le cas précis de celui que nous pleurons tous aujourd’hui parce que son histoire est celle des pionniers, la question du philosophe est inutile : la victoire de la mort est dans ce saxophone brisé, dans ce grand corps inerte mais jadis rebelle, dans ce sourire à jamais éteint, dans les larmes dignes de tous ces artistes devenus orphelins. Le temps seulement du réajustement, car la vie doit reprendre ses droits. Harouna Barry n’est plus. Il était malade et avait pris son mal avec un rare courage. L’heure fatidique pouvait sonner n’importe quand. Mais par respect pour l’enfant du Khasso, qui a vibré pour le Khasso et pour le Mali, elle a attendu la fin de la biennale organisée sur la terre natale de l’artiste émérite. Elle a attendu également le temps de la reconnaissance officielle de la toute la nation, à travers les récentes distinctions accordées à la République à ses enfants méritants. Et puis, comme notre destin est de partir tous un jour, même quand la démesure nous atteint et que le pouvoir nous enivre, il est retourné à la terre. Mais, il y a ce qu’on ne peut pas reprendre à Harouna Barry. C’est qu’il est partie intégrante de l’histoire des arts et de la culture de ce pays. On ne peut pas, non plus, lui reprendre le fait qu’il a tout donné à ses camarades artistes, son temps, ses ressources, et même sa vie. On ne peut pas enfin lui reprendre le fait qu’avec très peu, il a pu faire beaucoup. Plus d’un aurait souhaité qu’il fût encore longtemps parmi nous. On ne le devinait même pas mortel, quand il était sur scène, ou quand il poussait ses coups de gueule amicaux. Non pas parce qu’il n’avait pas pris la pleine mesure de la brièveté humaine, mais parce qu’il avait fait le pari de prendre la vie du bon côté. Prions pour le repos de son âme. Et disons-lui simplement : merci pour l’arbre planté dont l’ombre se déploie pour toute une génération.Adam ThiamJanjo pour Harouna BarryQuelles heures peuvent être mieux que celles-ci pour célébrer ce fils authentique du terroir qui a sacrifié sa vie pour le rayonnement de la culture ? Oui, pour lui dire la communion et la gratitude de ceux qui ont grandi au son de son saxophone, dans la familiarité de sa svelte silhouette, et dans l’éclat de ses francs rires, aucun jour ne pourrait-être supérieur à celui là quand la nation s’est donné rendez-vous sur la terre qui l’a vu naître, qui l’a porté et qu’il a porté. A son tour, le long des ans, des péripéties, d’un instrument à l’autre, d’une discipline à l’autre, d’une semaine de jeunesse à l’autre, d’une biennale à l’autre, d’une tournée mondiale à l’autre, mais le tout relié au fil imprenable de la culture. Harouna Barry depuis nos tendres années, dans les années 1960, où nos fibres régionales, l’espace d’une semaine faite d’émulation sans venin, a guetté tous les ans d’abord, tous les deux ans ensuite, les savoureuses mélodies du pays soninke et kassonké ! Harouna Barry quand, majeurs, nous avons ouvert les yeux sur les merveilles de l’ensemble instrumental, des années 1970 à maintenant ! Harouna Barry encore et toujours, au retour de la biennale artistique et culturelle un moment oubliée ! Harouna Barry, enfin et toujours là où d’autres ont jeté l’éponge, parce que son âme de soldat refuse la désertion et fait qu’il reste quand tout le monde est parti, comme, par exemple au Badema National ! Le pays ne pourra rien lui donner qu’il ne lui a donné lui, pour emprunter à l’autre la formule utilisée pour immortaliser le monument Bob Marley. Rien de plus que merci en ces heures. Merci pour beaucoup de choses à la fois : les semailles, les récoltes, l’aiguillage, l’accompagnement, l’abnégation, l’endurance. Tu as enseigné, Harouna, une belle leçon à tes coéquipiers, et diffusé la bonne humeur en leur sein comme autour d’eux. Et, tous, griots et danseurs de cette heure qui t’est consacré et que tu mérites, nous aimerions te dire ceci, sachant que tu ne lui trouveras pas meilleur remède à l’épreuve : en tes mains la flamme n’est pas morte, elle est transmise. Et de belle façon.Adam Thiam
Source: LE REPUBLICAIN,LE 27/01/2009

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