lundi 5 mai 2008

Edmond Bernus, le géographe des Touaregs(Jean Boutrais)





Edmond Bernus est mort lundi 12 juillet 2004, à l'âge de 75 ans. Il était le géographe des Touaregs et l'un des meilleurs spécialistes de ce peuple africain souvent confronté à de grandes épreuves.
Ancien directeur de recherche émérite de l'Institut de recherche pour le développement (IRD, ex-Orstom), Edmond Bernus avait pourtant commencé des recherches loin du Sahel : d'abord en Guinée, en 1954-1955, puis en Côte d'Ivoire, en tant que chercheur de l'Institut français d'Afrique noire (IFAN), de 1956 jusqu'au milieu des années 1960. Mais c'est le Sahel qui l'attire, avec ses vastes horizons pastoraux et la richesse culturelle de ses sociétés. Chercheur de l'Orstom à partir de 1960, il commence ses recherches sur les Touaregs du Niger en 1965 et il les poursuivra jusqu'à la fin de sa vie.
Les publications d'Edmond Bernus sont nombreuses et signent une géographie originale. Parmi ses travaux scientifiques marquants, il convient de citer sa grande thèse d'Etat : Touaregs nigériens, unité culturelle et diversité régionale d'un peuple pasteur (Orstom, 1981 ; rééditée en 1993 chez L'Harmattan). Elle fut précédée, en 1974, par une étude importante pour son corpus cartographique inédit d'itinéraires de nomadisation : Les Illabakan (Niger), une tribu touarègue et son aire de nomadisation (Orstom).
Ces études précises, minutieuses, relèvent de la géographie humaine d'une société pastorale, présentée dans ses permanences mais aussi les changements qui précédèrent la crise pastorale des années 1970. Face au drame des grandes sécheresses de 1973-1974 et surtout de 1984, comme devant la tragédie politique des Touaregs dans les années 1990, Edmond Bernus a multiplié analyses et réflexions qui s'échelonnent sur une vingtaine d'années.
Mais l'originalité de son approche ressort surtout de multiples articles où il traite, en toute liberté, d'une série de facettes de la culture touarègue : la littérature orale, l'alimentation, les maladies, les façons de parler, les jeux - notamment les jeux de mots -, l'astronomie, sans parler de thèmes plus classiques de la vie pastorale comme les bergers, les animaux domestiques, les divers laits.
Sans en être un théoricien, Edmond Bernus a pratiqué une véritable géographie culturelle qui le rapprochait des anthropologues, des linguistes, des archéologues. Cette dernière connivence s'est concrétisée par sa participation à des programmes archéologiques - dont il a coordonné l'une des publications : Vallée de l'Azawagh, Sahara du Niger (Sepia, 1999).
Au-delà de publications scientifiques, Edmond Bernus a témoigné de son expérience africaniste en recourant à divers supports : le récit littéraire (Touaregs, chronique de l'Azawak, Ed. Plume, 1991), l'album photographique (Eguéréou ; Niger, d'une rive l'autre ; 1953-1977, Marval, 1995), le cinéma (par exemple, Le Jardin de la sécheresse, 1975). Une autre originalité d'Edmond Bernus est d'avoir su vulgariser les résultats de sa recherche par des conférences et surtout en collaborant avec des photographes pour éditer de beaux livres sur les Touaregs. Le plus imposant est celui publié avec Jean-Marc Durou : Touaregs, un peuple du désert (Robert Laffont, 1996), ouvrage préfacé par son maître, Théodore Monod.
Edmond Bernus disait souvent que, au milieu des Touaregs, il menait « une recherche heureuse ». Ce bonheur et l'intensité de relations d'amitié transparaissent dans ses écrits.
Avec ses collègues de l'IRD et du CNRS, il entretenait des rapports chaleureux et, vis-à-vis des jeunes chercheurs, il manifestait une grande bienveillance. Ainsi, il a encouragé - et suscité - des vocations de chercheurs sur le Sahel, en particulier celles de Touaregs eux-mêmes qu'il a aidés à étudier leur environnement et leur culture.Jean Boutrais








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