Selon Charles Baudelaire et de l’avis unanime des critiques, Victor Hugo est le poète le plus populaire de la France, le plus vigoureux, celui qui a inauguré la bonne poésie, et rayonné de mille feux sur son siècle. On comprend aisément l’ascendant d’un tel génie littéraire sur cet autre, c’est-à-dire Senghor qui a, lui aussi, marqué son époque, le 20ème siècle.Victor Hugo et Léopold Sédar Senghor : deux figures sublimes du monde des lettres que le printemps des poètes de l’année a honorés, circonstanciellement, en rapprochant leurs pensés poétiques respectives.‘’A Saint Joseph de Ngasobil, petit village Sénégalais perché sur les falaises, où soufflait l’esprit des Alizés, à qui nous aurait demandé quels étaient nos poètes préférés, nous aurions répondu sans aucun doute : Pierre Corneille et, avant Corneille, Victor Hugo’’. C’est Senghor qui s’exprime ainsi dans liberté I, à propos de l’auteur des ‘’Misérables’’. L’admirateur est devenu dans une certaine mesure l’égal de l’admirer.En tentant de les camper, à la lumière de leurs productions littéraires, nous les trouvons tous deux hommes du poème, hommes du verbe, des amants constamment visités par des muses. Certes, l’envergure de Victor Hugo est exceptionnelle : elle couvre tous les domaines littéraires : Roman, théâtre, poésie... C’est pourquoi, à Beijing, en commémorant le centenaire de sa mort, des écrivains, des chercheurs ont évoqué, en termes exaltés, ses multiples activités artistiques. On a vu en lui ‘’un véritable phénomène dans le domaine littéraire’’, ‘’…un important phénomène littéraire dans l’histoire humaine... ‘’. La voix littéraire de Victor Hugo a été entendue à des millions de km de la France, jusque dans les confins perdus des terres d’Afrique où ses poèmes étaient lus et récités avec un plaisir invariable. C’est que Victor Hugo a su adresser à toutes les intelligences de tous les âges, émouvoir les âmes de toutes les sensibilités, attendrir tous les cœurs au sujet de l’angoissante condition humaine. C’est dans la poésie essentiellement qu’il a exprimé son message. C’est sur ce terrain poétique que nous le voyons plus proche de Senghor. Ce dernier a mené une vie de poème qu’il a préférée à toute autre forme d’existence, même politique. Les chants de Senghor s’apparentent à ceux de Hugo ‘’maître du tam-tam’’, magicien du verbe, l’artiste qui savait son métier, qui fabriquait des vers d’or sous un enclume d’airain. Senghor de son côté, est considéré comme ‘’virtuose du Khalam’’, le poète qui est devenu prince ‘’au-dessus des paroles bien dites, l’homme du rythme, des sonorités, qui sait donner à ses poèmes des ailes aux parfums d’ étoiles.Hugo et Senghor sont des écrivains qui avant d’écrire sont allés boire aux sources antiques en respectant les traces sacrées d’illustres prédécesseurs. C’est ainsi que leur poésie est devenue l’écho du ciel et de la terre, le véhicule des énigmes, ‘’des révélations surnaturelles’’. Tous deux, ils avaient une vision cosmique des choses.En initiés, ils parlaient des mystères telluriques. Tous deux, ils ont vite pris goût aux choses de l’esprit.C’est ainsi qu’ils ont produit curieusement des œuvres reflétant ensemble ce que l’humanité a d’essentiel au niveau des éternelles aspirations du cœur : l’amour, la justice, la paix, la fraternité universelle…La poésie hugolienne, comme celle de Senghor, célèbre l’amour tant qu’il élève l’homme, le purifie, le rapproche du divin. De l’amour qui naît dans le giron familial à celui qui touche l’ensemble des hommes en passant par celui qu’on éprouve pour l’être aimé, nos poètes en ont montré les multiples variations.C’est l’amour, ‘’moteur sacré de l’activité humaine’’ qui pousse à combattre pour la justice, pour la défense des faibles, des opprimés. A ce sujet la poésie de Victor Hugo attendrit et soulève l’âme.‘’Partout pleurs, sanglots, cris funèbres. Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ?Je ne veux pas que tu sois mort.Pourquoi dors-tu dans les ténèbres?Ce n’est pas l’instant où l’on dort’’ (Les châtiments) Victor Hugo, l’auteur des Misérables, a su, on ne peut mieux, exprimer la détresse humaine dans ses romans d’inspiration sociale, de vrais poèmes. Fantine, Cosette, Marius surtout Jean Valjean : des êtres que la société a broyés a jetés dans la mer, la mer des malheurs, des misères sans fin. Des livres de la nature des ‘’Misérables’’ ne seront jamais inutiles.Devant les souffrances de l’humanité noire opposée par le fait colonial, Senghor a écrit des poèmes d»un militantisme étonnant, tels ‘’Perceur de tam-tam’’, ’’ Elégie pour Ayinina Fall’’ ‘’Chaka ‘’…Victor Hugo et Léopold Sédar Senghor sont des poètes qui ont passé de la poésie à l’action politique. Ils ont ainsi répondu à l’appel de l’histoire. Chez Hugo, le lyrisme exaltant n’a pas empêché l’engagement politique. C’est dans le feu de l’action politique qu’il a composé une de ses œuvres majeures : ‘’Les châtiments ‘’qui, selon J. Hetsel, ‘’sont un livre d’éducation pour le peuple ‘’. Dans la préface à la 1ère édition de ce livre, l’auteur a écrit ce qui suit : ‘’quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui ce croient les maîtres du peuple et qui ne sont que des consciences, l’homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d’accomplir son devoir tout entier»‘’La toute puissance du mal n’a jamais abouti qu’à des efforts inutiles’’Le poète dans la cité doit tenir l’éternel flambeau de la justice. Dans la cité ‘’ malheur à qui dit à ses frères, je retourne dans le désert’’‘’L’art, c’est la pensée humaine qui va brisant toute chaîne!’’(Victor Hugo). Ce sont les impératifs de l’époque qui ont amené Senghor à s’engager dans la voie politique. Parmi les raisons qu’on peut évoquer à l’appui d’un tel choix, il y a le constat de la misère des paysans Senghor ‘’le poète président’’, ‘’l’ambassadeur du peuple noir ‘’, ‘’le dyali de son peuple’’. Nombre de ses poèmes portent l’empreinte politique, ses espoirs, ses déconvenues sa lassitude. Son recueil ‘’Lettre d’hivernage’’ est en partie représentatif de l’état d’âme du poète las de tout et aspirant au repos auprès de l’épouse bien-aimée, bienveillante. Ce désir de paix intérieure, d’harmonie interne, de réconciliation avec soi-même est un des traits distinctifs de la poésie de Hugo et de Senghor. La quête désespérée de l’équilibre intérieur engendre souvent chez les deux un sentiment d’impuissance de vide existentiel très marqué dans les vers suivants : ‘’Je pleure ! Car la gloire est maintenant voilée ; car il est parmi vous plus d’une âme accablée, qui songe et qui frémit!’’ (Les châtiments, Victor H)‘’Pendant vingt ans deuil et solitude’’ (Les contemplations V.H)‘’ La splendeur, des honneurs est comme un Sahara un vide immense’’ (Elégie mineur) L.SVictor Hugo et Léopold Sédar Senghor sont des êtres qui ont vu mourir une grande partie de leur rêve d’amour, de vie familiale.La mort de Léopoldine est à l’origine de ‘’Les contemplations’’ ‘’Les Elégies Majeures’’ comportent un poème traduisant la douleur du poète après la disparition de Philipe Maguilen Senghor.C’est que la vie a énormément éprouvé nos deux poètes qui ont, malgré tout, continué à écrire dans le sens de l’universel, de l’humanisme. On a pu se rendre compte : la production littéraire de ces deux poètes mondiaux transcende leur temps.Elle annonce une ère nouvelle de l’humanité ce que Senghor a appelé ‘’La civilisation de l’universel’’ que nous vivons sous le nom de mondialisation. Notre monde tend, depuis, vers un nouvel humanisme que peu d’écrivains ont pu, à l’égal de Victor Hugo et de Senghor, traduire en termes concrets clairs et variés.Assey CoulibalyLe Challenger du 11 février 2008
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