Une œuvre de maturité - "Une Aube incertaine" est le deuxième roman de Moussa Konaté, écrivain malien. C’est déjà une œuvre de maturité, tant par l’originalité de la technique narrative (propre à déconcerter un lecteur inattentif) que la multiplicité des visages évoluant dans un univers discordant. Aussi et surtout par le problème de l’intersubjectivité qu’elle pose, c’est-à-dire le conflit des consciences toutes désireuses d’autonomie.
Georges (une sorte de figure emblématique de l’amour défiguré) confie à l’abbé Thiam son désarroi intérieur, ses troubles psychologiques nés de son état d’âme d’être abandonné dès l’enfance par Waly et Bata (ses parents) et que nous connaîtront plus tard sous les noms chrétiens de Joseph et d’Antoinette.
C’était d’abord à Gallo, ‘’un village perdu dans une vallée…’’ où vivait en maître incontesté un certain Faran Diarra. ‘’Riche en cases, en bétail, il était’’. Aussi, venaient-ils se confier (en fait ‘’se donner’’) à lui des indigents, des nécessiteux qui devenaient de ce fait ses sujets. Et lui, il devenait leur seigneur. Et comme il les accueillait sous son toit, on le trouvait généreux.
De tous ceux que Faran a secourus et employés, Balla Cissé fut sans doute le plus célèbre. Car dans sa servilité, il eut le rare bonheur d’avoir deux femmes en mariage (bien entendu grâce à son maître Faran). Quand il mourut, sans force, il ne laissait derrière lui que sa première épouse et leur fils Waly. Tout augurait que ce fils allait suivre la tradition serve de son père. Car sa mère ne l’avait-il pas confié à Faran en ces termes : ‘’je viens te confier mon enfant… Il s’appelle Waly et il t’appartient’’ ? Mais Waly n’aura pas le même destin que son père. Un jour, il osa porter la main sur son maître, ‘’le bienfaiteur’’ de tous (ce dernier avait, en son absence, sans juste raison, frappé sa femme Bata). Pour avoir commis cet acte d’une témérité incroyable, Waly fut, dans l’abandon général, sérieusement battu par Faran. Humilié, blessé dans sa dignité et refusant désormais de croire ‘’à la générosité désintéressée d’un homme’’, notre malheureux homme (en compagnie de sa femme) partit pour ‘’la petite ville’’ où se trouvait une Mission catholique bien connue dans le milieu. C’était dans l’espoir d’y mener une vie indépendante. Mais on ne devient pas indépendant quand on n’a rien. Les premiers secours vinrent d’Auguste et de Félix Thiam (la mission n’étant plus nantie comme autrefois, au début de ses activités).
C’est surtout Félix qui jouera auprès du jeune couple le rôle du bon samaritain. Il était fortuné. Ayant été chargé par les missionnaires de la gérance du fonds commun, il sut, intelligemment et rapidement, s’enrichir. Il sortit prospère de la faillite de la sécurité sociale, sans que sa responsabilité en fût entamée. Et comme Waly et Bata étaient devenus des élus de l’infortune, Félix les aida dans un élan de ‘’générosité’’ qui allait un jour dire son véritable nom.
Car en acceptant l’aide de Félix, Waly et Bata devaient devenir chrétiens par la force des choses : Joseph et antoinette. Ainsi, le rêve d’indépendance du couple (surtout de Waly) était brisé. Devant les exigences de la vie (de plus en plus fortes) Joseph baissa le bras et …un jour, disparut. Et Antoinette, tout en faisant du petit commerce, se transforma en proxénète et en prostituée genre. Sa cour devint le lieu de rendez-vous de tous ceux qui mènent une vie dissolue (avec la boisson et le sexe comme principaux objets de plaisir).
Entre-temps, Georges avait grandi en âge, en excentricité: ‘’la vie de Georges, jusqu’à l’âge de dix ans, avait été une vie de vagabond’’, Antoinette le détestait, Félix aussi.
Finalement, c’est auprès de Hélène qu’il trouvera réconfort de soutien. Mais une Hélène qui n’était plus la même : impitoyable, méchante. Dès l’enfance, elle a souffert de n’avoir pas été aimée comme les autres. C’est cette frustration d’amour qui l’avait un jour amenée à tirer sur Hippolyte, son mari, le seul homme dont elle avait cru être aimée. Un meurtre qu’elle confessera plus tard à l’abbé Thiam. Douloureusement d’ailleurs. Hélène, devenue bonne, s’attacha à Georges et, pour le rendre suprêmement heureux, le maria à une femme du nom de Maran mais que le cynisme de son mari contraignit à abandonner le foyer.
Elle était partie pour Tila où Georges avait espéré (vainement) la retrouver avec son enfant. Le roman de Moussa Konaté débute par cette rencontre et s’achève par elle. Il témoigne du désastre que peut causer un manque d’amour, de la difficulté à pardonner ceux qui blessent en n’aimant pas. En somme de l’incommunicabilité de l’être, du mystère humain.
En effet, Georges et l’abbé Thiam resteront l’un pour l’autre des êtres à distance, en dépit de l’amitié dont ils ont toujours témoignée dans leurs rapports, en dépit du même sang qu’ils portent et qui est de Félix (l’amant occulte d’Antoinette).
Antoinette, comme son mari, avait fini par s’en aller, dans l’inconnu.
Un double abandon qui fera le malheur de Georges.
Par ailleurs, ‘’Une Aube incertaine’’, c’est aussi une réflexion sur les réalités de l’Afrique post-coloniale où l’on voit le menu peuple passer de l’espoir au désenchantement.
‘’Alors nous nous surprîmes à regretter le départ de l’homme blanc’’.
Assey AC
Le Challenger du 30 mars 2008
Georges (une sorte de figure emblématique de l’amour défiguré) confie à l’abbé Thiam son désarroi intérieur, ses troubles psychologiques nés de son état d’âme d’être abandonné dès l’enfance par Waly et Bata (ses parents) et que nous connaîtront plus tard sous les noms chrétiens de Joseph et d’Antoinette.
C’était d’abord à Gallo, ‘’un village perdu dans une vallée…’’ où vivait en maître incontesté un certain Faran Diarra. ‘’Riche en cases, en bétail, il était’’. Aussi, venaient-ils se confier (en fait ‘’se donner’’) à lui des indigents, des nécessiteux qui devenaient de ce fait ses sujets. Et lui, il devenait leur seigneur. Et comme il les accueillait sous son toit, on le trouvait généreux.
De tous ceux que Faran a secourus et employés, Balla Cissé fut sans doute le plus célèbre. Car dans sa servilité, il eut le rare bonheur d’avoir deux femmes en mariage (bien entendu grâce à son maître Faran). Quand il mourut, sans force, il ne laissait derrière lui que sa première épouse et leur fils Waly. Tout augurait que ce fils allait suivre la tradition serve de son père. Car sa mère ne l’avait-il pas confié à Faran en ces termes : ‘’je viens te confier mon enfant… Il s’appelle Waly et il t’appartient’’ ? Mais Waly n’aura pas le même destin que son père. Un jour, il osa porter la main sur son maître, ‘’le bienfaiteur’’ de tous (ce dernier avait, en son absence, sans juste raison, frappé sa femme Bata). Pour avoir commis cet acte d’une témérité incroyable, Waly fut, dans l’abandon général, sérieusement battu par Faran. Humilié, blessé dans sa dignité et refusant désormais de croire ‘’à la générosité désintéressée d’un homme’’, notre malheureux homme (en compagnie de sa femme) partit pour ‘’la petite ville’’ où se trouvait une Mission catholique bien connue dans le milieu. C’était dans l’espoir d’y mener une vie indépendante. Mais on ne devient pas indépendant quand on n’a rien. Les premiers secours vinrent d’Auguste et de Félix Thiam (la mission n’étant plus nantie comme autrefois, au début de ses activités).
C’est surtout Félix qui jouera auprès du jeune couple le rôle du bon samaritain. Il était fortuné. Ayant été chargé par les missionnaires de la gérance du fonds commun, il sut, intelligemment et rapidement, s’enrichir. Il sortit prospère de la faillite de la sécurité sociale, sans que sa responsabilité en fût entamée. Et comme Waly et Bata étaient devenus des élus de l’infortune, Félix les aida dans un élan de ‘’générosité’’ qui allait un jour dire son véritable nom.
Car en acceptant l’aide de Félix, Waly et Bata devaient devenir chrétiens par la force des choses : Joseph et antoinette. Ainsi, le rêve d’indépendance du couple (surtout de Waly) était brisé. Devant les exigences de la vie (de plus en plus fortes) Joseph baissa le bras et …un jour, disparut. Et Antoinette, tout en faisant du petit commerce, se transforma en proxénète et en prostituée genre. Sa cour devint le lieu de rendez-vous de tous ceux qui mènent une vie dissolue (avec la boisson et le sexe comme principaux objets de plaisir).
Entre-temps, Georges avait grandi en âge, en excentricité: ‘’la vie de Georges, jusqu’à l’âge de dix ans, avait été une vie de vagabond’’, Antoinette le détestait, Félix aussi.
Finalement, c’est auprès de Hélène qu’il trouvera réconfort de soutien. Mais une Hélène qui n’était plus la même : impitoyable, méchante. Dès l’enfance, elle a souffert de n’avoir pas été aimée comme les autres. C’est cette frustration d’amour qui l’avait un jour amenée à tirer sur Hippolyte, son mari, le seul homme dont elle avait cru être aimée. Un meurtre qu’elle confessera plus tard à l’abbé Thiam. Douloureusement d’ailleurs. Hélène, devenue bonne, s’attacha à Georges et, pour le rendre suprêmement heureux, le maria à une femme du nom de Maran mais que le cynisme de son mari contraignit à abandonner le foyer.
Elle était partie pour Tila où Georges avait espéré (vainement) la retrouver avec son enfant. Le roman de Moussa Konaté débute par cette rencontre et s’achève par elle. Il témoigne du désastre que peut causer un manque d’amour, de la difficulté à pardonner ceux qui blessent en n’aimant pas. En somme de l’incommunicabilité de l’être, du mystère humain.
En effet, Georges et l’abbé Thiam resteront l’un pour l’autre des êtres à distance, en dépit de l’amitié dont ils ont toujours témoignée dans leurs rapports, en dépit du même sang qu’ils portent et qui est de Félix (l’amant occulte d’Antoinette).
Antoinette, comme son mari, avait fini par s’en aller, dans l’inconnu.
Un double abandon qui fera le malheur de Georges.
Par ailleurs, ‘’Une Aube incertaine’’, c’est aussi une réflexion sur les réalités de l’Afrique post-coloniale où l’on voit le menu peuple passer de l’espoir au désenchantement.
‘’Alors nous nous surprîmes à regretter le départ de l’homme blanc’’.
Assey AC
Le Challenger du 30 mars 2008