mercredi 23 janvier 2008

Mémoire d’Afrique: Le projet prend forme (l'essor-mali,le 23-1-2008)













Historiens, anthropologues, philosophes, littéraires et autres chercheurs se sont penchés sur la question le week-end dernier à Bamako.

La défense de la mémoire de l’Afrique est une préoccupation forte pour Mme Adam Ba Konaré, épouse de l'ancien chef d’État, Alpha Oumar Konaré. L'historienne a convoqué durant le week-end à l’hôtel Plaza, la première réunion du Comité scientifique de mémoire d’Afrique. Cette rencontre a regroupé d’éminents historiens, anthropologues, philosophes, littéraires et autres chercheurs venus d’Afrique, d'Europe et d'Amérique. Elle a permis de jeter les bases du projet de document initié par Mme Adam Bâ Konaré en réaction au discours du président français Nicolas Sarkozy sur l’Afrique.

Le président Sarkozy avait tenu le 26 juillet dernier à l’Université Cheikh Anta Diop un discours critique sur l’histoire et la civilisation de l’Afrique. Ce discours a suscité -et continue de susciter- de vives réactions à travers le monde, dont l’appel lancé en septembre par Mme Adam Ba Konaré. Celle-ci a invité ses collègues, historiens, anthropologues, sociologues, archéologues, littéraires et autres, à se joindre à elle, afin de rédiger un ouvrage qui va restituer l’histoire de notre continent. "J’ai été profondément choquée de voir le plus vieux continent du monde relégué à la place d’un enfant encore immature, inconscient, sur lequel la lumière tardait à irradier et sur lequel il fallait se pencher avec compassion", a t-elle commenté.

Mme Adam Bâ Konaré indique faire partie de ceux qui pensent que la condition d’homme se conjugue avec la prise de responsabilité, lorsque les circonstances l’exigent. L’historien, de son point de vue, se voit dicter l’impérieux devoir de rétablir la vérité, grâce aux outils méthodologiques dont il dispose, d’autant plus que réveiller le passé, en soi déjà, n’est pas sans périls. "Quand les sages de chez nous, par exemple, martèlent que remuer le passé est mauvais, c’est parce qu’ils mesurent les risques de cristallisation du ressentiment, oh combien porteur de germes de désunion, de discorde, voire de déflagrations sociales, lorsque de surcroît, l’exercice est mené sans précaution", a-t-elle affirmé.

L’histoire, pense-t-elle, est bel et bien soumise aux sommations du présent qui obligent les historiens à constamment repenser leur discipline, à renouveler et à défricher des pistes de réflexion, commanditées par l’air du temps. "En tout cas, pour ma part c’est bien à la prise de nos responsabilités face à l’histoire aux fins de mieux éclairer l’opinion en redressant des contre vérités, que je vous ai conviés", a-t-elle expliqué.

Elle a, par conséquent, invité les historiens à faire sereinement leur travail, en estimant "qu’il leur était impérieux, face à la provocation pseudo-scientifique teintée de condescendance dont l’Afrique et les Africains furent victimes, d’abandonner leur posture de monstres froids déferlant sur le temps, nez et yeux plongés dans des documents inanimés".

"Mes chers collègues, la probité intellectuelle me commande de vous faire part d’autres réactions, profanes celles-là, car émanant de non historiens. Beaucoup de gens se sont exprimés sur la messagerie memoireafrique@yahoo.frCet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir , que j’ai ouverte, d’autres sur les antennes de RFI, en écho aux différentes émissions que j’ai moi même animées par voie de média", a-t-elle annoncé.

La majorité des intervenants, a t-elle souligné, sont favorables à son projet de Mémoire d’Afrique. Même si, bon nombre de jeunes ont manifesté le vœu, "qu’au lieu de perdre du temps à répondre au discours de Nicolas Sarkozy, les intellectuels et les décideurs africains devaient plutôt prendre en main le destin de l’Afrique pour que nos enfants puissent avoir un avenir meilleur". Certains craignent également que cette page Afrique ne soit écrite sur injonction. D’autres estiment que tout ce que le président Sarkozy a dit n’est pas faux, tout en fustigeant surtout nos dirigeants. D’autres ont aussi émis le souhait de voir corriger l’ignorance.

Un défi de taille attend donc l’historienne Adam Ba Konaré et ses collègues : celle de confirmer ou d’infirmer les thèses de Sarkozy sur l’Afrique, sur la colonisation de notre continent.

Le professeur Elikia Mbokolo, directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHSS) en France, a insisté sur l’urgence de mettre le discours de Sarkozy à la disposition de tout le monde, afin de recueillir des critiques historiques, littéraires et philosophiques. "Notre combat n’est pas mené contre un pays, mais contre un système", a précisé cet historien qui soutient Mme Adam Ba Konaré dans son mouvement pour la défense de l’identité africaine.

B. M. SISSOKO

L'Essor n°16120 du 23 janvier 2008

Aucun commentaire: